Pas besoin d'être un spécialiste pour établir que la saison 2020 dans le baseball majeur sera bien différente de ce à quoi nous sommes habitués. Un camp d'entraînement écourté, un calendrier de 60 matchs, pas de spectateurs, règlements adaptés, etc. Pour les amateurs impliqués dans des ligues virtuelles, les décisions risquent donc d'être pas mal plus compliquées.
Dans un pareil contexte, il est sage de regarder si on a déjà vécu des situations identiques, à tout le moins avec lesquelles on peut établir des parallèles. Dans l'histoire du baseball, certaines situations particulières ont provoqué des changements. La grippe espagnole de la fin des années 1910 vient à l'esprit.
En 1918, on avait décidé de mettre fin prématurément à la saison. Il y a eu menace de grève des joueurs tout juste avant la Série mondiale, mais celle-ci n'avait rien à voir avec la grippe espagnole. Quelques grèves, particulièrement celles de 1981 et 1994, ont forcé l'annulation de matchs, mais les forces en présence étaient connues, ce qui n'est pas le cas en 2020. Par contre, le baseball a vécu un grand degré d'incertitude pendant la 2e Guerre mondiale. Les États-Unis sont entrés dans cette guerre après l'attaque de Pearl Harbor en décembre 1941. Devant la gravité de la situation, le commissaire Kenesaw Mountain Landis avait demandé au président américain Franklin Roosevelt, en janvier 1942, s'il était pertinent de continuer les activités. La réponse est arrivée le lendemain : le président Roosevelt estimait que pour le moral du pays, il était important que le sport national puisse poursuivre ses opérations.
Donc, de 1942 jusqu'à la fin de la guerre en 1945, les équipes du baseball majeur ont dû s'ajuster, comme aujourd'hui avec la COVID-19, avec une réalité jusque-là inconnue. Avec la guerre, les jeunes Américains ont été conscrits afin de participer à l'effort de guerre. De ce fait, un pourcentage important de joueurs, la plupart dans la fleur de l'âge, ont dû quitter leur équipe. Voici comment les meilleures organisations s'en sont le mieux sorties.
Dans la Ligue nationale, les Cards de St.Louis ont remporté trois titres de 1942 à 1944. Les Cards étaient de loin les mieux placés pour faire face à la situation en raison de leur réseau de joueurs et d'équipes.
Branch Rickey était le directeur général de l'équipe et s'il est davantage connu pour avoir embauché Jackie Robinson, le premier Noir de l'époque moderne, il est aussi celui qui a été le premier à établir un véritable réseau de filiales. Les Cards avaient de loin le nombre le plus élevé de joueurs sous contrat au niveau professionnel, ce qui leur conférait un net avantage sur la concurrence.
Rickey disait: « Si j'ai de la quantité, j'aurai de la qualité. » Cet avantage s'est révélé déterminant en temps de guerre. En 1945, ils ont terminé deuxièmes derrière les Cubs de Chicago. Il faut toutefois noter qu'il s'agit de la seule saison durant laquelle les Cards n'ont pu compter sur Stan Musial, qui était alors le meilleur frappeur du circuit. Quant aux Cubs, ils ont profité d'un coup de chance avec quelques vétérans au monticule qui en étaient à leurs derniers milles et qui ont bénéficié d'un calibre moins élevé pour élever leurs statistiques. En effet, Claude Passeau, Paul Derringer et Ray Prim avaient amassé un total de 46 victoires. Le plus jeune du groupe, Passeau, avait 36 ans!
Dans l'Américaine, la profondeur a aussi aidé les Yankees de New York, champions en 1942 et 1943. À cette époque, chaque jeune joueur de baseball voulait devenir Babe Ruth et donc jouer avec les Yankees, qui n'avaient ainsi aucun mal à recruter les meilleurs espoirs.
Puis en 1944, surprise, les Browns de St. Louis remportent le seul titre de leur histoire (ils en remporteraient plusieurs par contre après leur déménagement à Baltimore en 1955). Les Browns étaient considérés par plusieurs comme était la pire organisation du baseball. De 1930 à 1941, ils n'ont jamais été près de jouer pour ,500. Puis à partir de 1942, ils ont connu quatre saisons fort respectables, jouant trois fois pour au moins ,500.
Comment expliquer ces succès?
C'est que les Browns avaient été moins affectés par le départ des joueurs vers l'armée. Certains observateurs avançaient même cruellement que les joueurs des Browns étaient tellement mauvais que même l'armée n'en voulait pas! N'empêche, ceux qui sont restés ont permis à l'équipe d'être compétitive avant de retomber dans les vieilles habitudes à partir de 1946. Ils n'ont d'ailleurs jamais atteint un dossier de ,500 avant le départ de la concession pour Baltimore.
Et finalement en 1945, les Tigers de Detroit ont profité du retour de leur joueur-vedette Hank Greenberg pour enlever le titre. Greenberg, d'origine juive, avait été un des premiers joueurs à s'enrôler pour l'armée après Pearl Harbor.
Il n'y a évidemment pas de surprise lorsqu'on affirme que la profondeur de chacune des équipes sera déterminante dans la suite des choses en 2020. Ce petit retour en arrière le confirme. L'autre aspect important sera l'identité des joueurs réguliers qui seront absents, que ce soit par retrait personnel ou encore en raison de blessures. Dans un échantillon de 60 matchs, il n'est pas impossible qu'un autre joueur connaisse une séquence exceptionnelle tandis que généralement, on sait à quoi s'attendre sur une période de 162 matchs. Bref, encore beaucoup d'incertitudes, mais n'est-ce pas ce qui fait la beauté du sport?